Réflexions des étudiants de couleur sur les études muséales

Lorsqu’on suit un programme d’études muséales et qu’on appartient à une minorité visible, il faut souvent se faire soi-même une place à table. Cela n’a rien de surprenant, étant donné l’histoire coloniale des musées. Dans le cadre d’efforts récents pour « décoloniser » les musées, il y a eu une demande accrue d’une plus grande représentation au sein du secteur des musées. Accroître cette représentation est devenu une préoccupation majeure dans de nombreux établissements différents, dont l’Université de Toronto.

Même si au départ notre organisation, Museum Professionals of Colour (MPOC), avait été créée pour servir de groupe de soutien aux étudiants de couleur inscrits à la maîtrise en études muséales (MMSt) à l’Université de Toronto, elle a évolué de façon à prendre en compte cette préoccupation plus vaste. Nous avons pris l’initiative d’attirer l’attention sur les questions de diversité au sein du programme MMSt de l’UT, ainsi que dans l’ensemble du secteur muséal. En faisant part de notre expérience en tant qu’étudiants de couleur de premier cycle et de cycle supérieur du MMSt, nous identifierons les secteurs où nous avons constaté des progrès en matière d’équité et de diversité, et ceux où il reste du travail à faire.

The Faculty of Information (iSchool) at the Claude T. Bissel Building,

La Faculté d’information (iSchool) dans l’édifice Claude T. Bissel, où se trouve le programme de maîtrise en études muséales (MMSt) de l’Université de Toronto. Photo – Anjali Bhurji

Études de premier cycle

Eunice Der and Anjali Bhurji

Comme l’Université de Toronto n’offre pas de programme de premier cycle en études muséales, nous aborderons principalement les programmes connexes, comme la culture matérielle et la sémiotique, l’archéologie, l’histoire, etc.

En tant qu’étudiants de premier cycle, nous considérons nos professeurs comme des experts qui sont le lieu ultime du savoir, et nous oublions souvent qu’ils ne sont pas impartiaux, et que par conséquent les cours et les programmes qu’ils conçoivent ne le sont pas non plus.

« History of the World in Objects and Signs, » (L’histoire du monde par les objets et les signes), un cours de culture matérielle obligatoire, utilise une approche multidisciplinaire de la culture matérielle. Cependant, elle n’a d’histoire du monde que le nom. Elle porte majoritairement sur la culture blanche nord-américaine et européenne et n’explore pas d’autres perspectives. Il y a eu quelques rares exceptions, notamment des exposés sur les paysages iroquoiens et sur les objets de famille des Autochtones, mais dans l’ensemble le plan de cours n’abordait pas les questions de diversité. Il en allait de même dans d’autres cours obligatoires sur la culture matérielle.

Un de nos membres a suivi un cours d’archéologie grecque et romaine dispensé par un professeur qui travaille dans un important musée canadien. Ce professeur avait, à de multiples reprises et sans provocation, manifesté son opinion déconcertante sur les rapatriements. Il désapprouvait le retour des marbres d’Elgin à Athènes, prétendant que les Grecs d’aujourd’hui n’avaient aucun droit réel sur les artefacts grecs, parce qu’ils sont génétiquement différents des Grecs de l’Antiquité. Le professeur s’opposait également à des demandes de rapatriement du Nigéria, et au rapatriement des bronzes du Bénin, pour des « raisons de sécurité ». Il croyait explicitement que les artefacts emblématiques élevés au statut d’« histoire du monde », devraient demeurer « accessibles au public » d’Angleterre.

Les points de vue exprimés par des personnes comme ce professeur ne tiennent pas compte du droit des peuples racialisés de posséder leur patrimoine, font fi des plus récentes pratiques instaurées dans les musées en ce qui a trait aux rapatriements, et reflètent un point de vue colonial nocif.

On nous enseigne constamment les histoires des communautés marginalisées à partir de ces points de vue tendancieux. Le milieu universitaire n’a pas fait suffisamment d’efforts pour attirer davantage d’étudiants de couleur dans les programmes d’études muséales, alors que beaucoup de personnes de communautés racialisées continuent de se voir découragées d’étudier les sciences humaines. Ceux qui établissent les programmes d’études muséales doivent réfléchir sérieusement à la façon dont ils peuvent encourager les étudiants de couleur à entreprendre des études muséales, ainsi que des travaux intracommunautaires, pour rendre le domaine pertinent pour les étudiants issus de milieux racialisés.

En tant qu’étudiants, nous devons nous rappeler qu’un cours n’est pas un point de vue objectif sur un sujet. Il y a des préjugés qui entrent en jeu, dont nous ne sommes peut-être pas conscients. Si nous croyons simplement que ce que les professeurs disent est vrai, alors nous intégrerons aveuglément les mêmes idéaux, valeurs et connaissances malencontreux dans notre éducation. À long terme, nous devons être plus critiques envers nos éducateurs, afin de ne pas pousser les personnes marginalisées hors du secteur.

Robarts Library at the University of Toronto.

Bibliothèque Robarts à l’University of Toronto. Photo – P.Spiro

Cycles supérieurs

Van Gonzales

Au cours du peu de temps que j’ai passé dans le programme MMSt, je n’ai pas été témoin d’un manque flagrant de sensibilité comme l’ont remarqué les étudiants de premier cycle membres de MPOC. Toutefois, le programme a été confronté à des problèmes auxquels il fallait remédier.

En juin 2020, à la faculté d’information de l’Université de Toronto, des associations étudiantes, y compris MPOC, se sont regroupées pour aborder les préoccupations concernant une culture suprémaciste blanche. Ils ont lancé un sondage qui a révélé des discussions inadéquates sur la diversité, une représentation insuffisante des points de vue marginalisés et un soutien limité accordé aux étudiants marginalisés, ce qui a débouché sur la publication du « Report on Diversity and Inclusion Experiences at the Faculty of Information » (Rapport sur les expériences en matière de diversité et d’inclusion à la faculté d’information). Une des principales critiques formulées était la tendance à ne présenter de contenu relatif à ces communautés que de façon sporadique, et souvent limitée à ce que le rapport appelle des « semaines symboliques ». Cela faisait références aux cas où ces sujets étaient restreints à une seule semaine ou classe extrêmement concentrée au sein d’un cours, et qui ne sont généralement pas abordés dans le reste du cours. Je suis pleinement d’accord avec le rapport lorsqu’il affirme qu’il est impératif d’intégrer divers sujets dans l’ensemble du programme. En outre, le rapport soulignait le rôle des ateliers pour faciliter des échanges constructifs sur la diversité et l’inclusion.Trois ans plus tard, nous pouvons mesurer les progrès accomplis suite à ce rapport.

Des efforts sont en cours pour répondre aux préoccupations concernant les notions de suprématie blanche intégrées dans le programme, mais il y a largement place à l’amélioration. Les lectures et le matériel du programme englobent divers points de vue, mais leur importance dans les discussions en classe est variable. Je reconnais que nos professeurs font des efforts pour être inclusifs, mais le manque de membres permanents PANDC dans le corps professoral compromet notre apprentissage auprès des personnes concernées par ces questions cruciales. Quoique bien intentionnés, nos professeurs, qui sont majoritairement blancs, ne peuvent pas présenter de manière authentique le point de vue des PANDC sur le domaine, et on ne devrait pas non plus attendre d’eux qu’ils le fassent. De plus, les étudiants de couleur ont le fardeau supplémentaire de représenter leur propre culture, et parfois celles des autres, une pression à laquelle ne sont pas soumis les étudiants et les professeurs blancs. Ce poids ne doit pas retomber uniquement sur nous. En invitant des conférenciers et des organisations de communautés marginalisés à animer des discussions et des ateliers d’EDI pendant les heures de cours, le programme tente plus activement de répondre à ces demandes, même si ce n’est que temporaire.

Dans un domaine largement dominé par des professionnels blancs, l’absence de professeurs PANDC rend difficile de trouver des modèles auxquels s’identifier et d’acquérir de la confiance au sein de la profession que nous avons choisie. La rareté des spécialistes de couleur dans les études muséales intensifie encore ce défi, et contribue au manque de diversité au sein des cohortes d’étudiants du programme. La faculté n’a aucun contrôle sur les facteurs historiques et systémiques qui ont une incidence sur la représentation d’étudiants PANDC. Ils méritent toutefois d’être traités équitablement lorsqu’il s’agit de promouvoir la diversité dans les inscriptions.

Et maintenant quelle sera la suite?

Alors que nous sommes sur le point d’entrer dans l’année 2024, l’impact du rapport sur le corps professoral est de plus en plus évident, bien qu’il soit graduel. Les cours et le matériel sont en constante évolution, s’ajustant au changement de dynamique de notre corps étudiant, et témoignant d’un engagement durable à l’égard de l’amélioration. En tant que membres actifs de MUSSA (Masters of Museum Studies Student Association) et de MPOC, nous sommes confiants que les initiatives menées par nos étudiants continueront de contribuer à apporter des changements au sein la faculté, tout comme ils l’ont fait par le passé. Nous sommes profondément reconnaissants envers les anciens de leurs efforts pour susciter des transformations positives, et nous ouvrir ainsi la voie. Inspirés par leur engagement, nous sommes déterminés à poursuivre leur œuvre, en travaillant sans relâche pour créer un environnement plus inclusif, représentatif et réceptif répondant aux besoins de chaque membre de notre communauté.

Eunice Der est une étudiante de premier cycle à l’Université de Toronto, où elle étudie l’anglais, la culture matérielle et la sémiotique, et suit un programme d’études de l’Asie de l’Est. Elle a contribué à la revue consacrée à la culture matérielle et la sémiotique de l’UT, The Material Merge, ainsi qu’au bulletin d’information de MPOC.

Van Gonzales est un étudiant en maîtrise du programme d’études muséales à l’Université de Toronto. Il détient un baccalauréat ès arts en éducation de l’Université de Regina. En tant que professionnel émergent ayant de l’expérience dans l’enseignement artistique au primaire, et dans l’élaboration et la prestation de programmes muséaux, il se consacre à promouvoir la représentation et l’inclusion par l’éducation dans les musées.

Anjali Bhurji est une étudiante de troisième année de premier cycle à l’Université de Toronto, où elle étudie l’histoire, l’archéologie, ainsi que la culture matérielle et la sémiotique. Elle souhaite promouvoir la diversité dans le milieu universitaire et dans les établissements publics consacrés à l’histoire, et se passionne pour l’accessibilité de l’information.

MPOC est une organisation étudiante de l’Université de Toronto qui a pour objectif de mettre fin à l’inégalité dans les études muséales et dans l’ensemble du secteur muséal.

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