La prise en compte des enfants dans les musées

Rebecca Friend

Young V&A Youth Collective members touring the construction site before opening.

Des membres du Young V&A Youth Collective visitent le chantier de construction avant l’ouverture. Photo — Young V&A.

Les enfants sont depuis longtemps considérés comme un public à part entière des musées. L’Association des musées de l’Alberta soulignait des données importantes à ce sujet dans le rapport Trust and Value: The Role of Museums in Canada in the Twenty-First Century qu’elle publiait en 2021, avec l’apport de musées et d’associations patrimoniales de toutes les régions du pays : dans un sondage réalisé en 2012, 96 % des Canadiens voyaient l’éducation des enfants comme un des rôles les plus importants des musées, et 92 % croyaient que les enfants devraient visiter des musées.

Partout au Canada et au-delà, les musées cherchent à accueillir les enfants comme visiteurs et comme participants à des programmes. Ils ont ainsi réussi à recevoir davantage de jeunes, mais certains chercheurs et praticiens en matière muséale ont commencé à demander s’il n’y aurait pas des moyens d’amener les enfants aux musées non seulement pour bénéficier de connaissances et de programmes, mais aussi pour y devenir des partenaires et des coproducteurs.

Vers une nouvelle muséologie critique par les enfants

La spécialiste de l’histoire publique, anthropologue culturelle et conservatrice indépendante Monica Eileen Patterson mène la charge en ce sens. Elle soutient que les enfants ont énormément à offrir aux musées – mais seulement s’ils sont reconnus pour leurs contributions potentielles. Elle vise à définir une nouvelle muséologie critique par les enfants, en faisant participer des enfants à ses travaux de recherche et à son action comme conservatrice. Pour elle, le contenu et les programmes des musées ne devraient pas seulement être faits pour et au sujet des enfants, mais aussi par et avec des enfants, de telle façon qu’ils participent en tant qu’importants acteurs sociaux et détenteurs de connaissances.

Les initiatives de ce genre sont éclairées par des tendances récentes en muséologie participative et des pratiques de longue date de musées pour enfants qui donnent la priorité à la participation active, à la liberté et à l’agrément des enfants. La Pre Patterson insiste toutefois que ces démarches devraient être adoptées par tous les musées et galeries, pas seulement ceux qui sont dits « pour enfants ». Le domaine des études muséales a vu émerger des appels à une « nouvelle » muséologie, une muséologie « critique » et même une « post-muséologie » visant à contrer des pratiques élitistes et sélectives. La Pre Patterson nous rappelle que ces efforts de démocratisation devraient aussi viser les enfants.

Étant moi-même doctorante à l’Université Carleton, j’étudie la façon dont les jeunes sont considérés dans les musées canadiens – du point de vue tant du contenu des collections et expositions que de la collaboration aux programmes et initiatives de conservation. Mes travaux doivent beaucoup à des universitaires comme la Pre Patterson, qui mettent en lumière le potentiel muséologique des jeunes. Nos recherches communes ont visé à repérer des exemples où des musées collaborent avec des jeunes pour innover dans leur offre. La section suivante se penche sur divers projets muséaux qui le font de façons nouvelles et créatives.

La muséologie critique par les enfants dans la pratique – Au Canada et au-delà

Un nombre croissant de musées lancent des projets qui mobilisent des jeunes au sein de leurs institutions en tant qu’importants visiteurs et apprenants. Il y a des jeunes consultants et conservateurs, il y a des membres de conseils des jeunes, et il y a des jeunes qui contribuent à des collections spéciales. Les exemples suivants illustrent de nouvelles façons dont les musées intègrent les jeunes et les perspectives des jeunes à leur offre.

Consultants

Des enfants et des jeunes ont contribué comme consultants au renouvellement d’espaces muséaux partout dans le monde. Dans le quartier Bethnal Green de Londres, le musée de l’enfance V&A vient de rouvrir sous le nom de Young V&A. Plus de 22 000 enfants locaux ont apporté leurs perspectives et leurs idées pour aider à cocréer une offre renouvelée, à l’issue d’un stage de 10 mois au musée organisé par le cabinet d’architectes AOC.

À plus petite échelle, le Musée canadien de l’histoire a mis les enfants à l’honneur comme consultants pendant une activité d’un jour, Réinventer le Musée des enfants , en octobre 2018. Les enfants et leurs familles ont été invités à imaginer ce que pourrait être le nouveau musée en recourant à une variété de moyens, y compris mots, dessins et diaporamas 3D. Les enfants ont aussi été invités à faire représenter ce qu’ils imaginaient par un illustrateur professionnel présent sur place, en temps réel. Dans ces deux exemples, il y a la reconnaissance que la conception d’un nouveau musée ne pourrait pas se faire sans d’abord consulter le public cible : les jeunes.

Wildes Morgen promotional image.

Photo promotionnelle du Wildes Morgan. Photo — Stadtalerie Saarbrücken.

Conservateurs

Diverses nouvelles expositions pensées par et avec des enfants ont attiré des visiteurs et intéressé les médias. Exemple notable, l’exposition Wildes Morgen (avant-midi sauvage) organisée par six enfants artistes est actuellement présentée à la galerie municipale de Saarbrücken, en Allemagne. De telles initiatives reconnaissent la créativité et les perspectives des enfants de façon, selon le site Web de la galerie municipale de Saarbrüken, « à donner une voix au jeunes et à leur donner les moyens d’aider à façonner leur ville ».

Au musée pour enfants CSMVS de Mumbai, en Inde, des enfants de 13 à 19 ans ont organisé l’exposition POV: Drishtikon  (drishtikon signifiant point de vue en hindi), inaugurée en août 2023. Dans le cadre du programme régulier du musée, le groupe de jeunes conservateurs de l’année ont choisi des objets de la collection pour l’exposition et créé de nouvelles interprétations inspirées d’ouvrages existants. Dans les deux cas, en reconnaissance de leurs aptitudes en matière d’interprétation et de création, des jeunes se sont vu offrir la possibilité de jouer un rôle qui n’est habituellement pas joué par des non-initiés dans des musées.

Conseils des jeunes

Des musées au Canada et ailleurs ont mis sur pied des conseils des jeunes afin de leur donner un moyen d’influencer ce qu’offrent les musées. Le Conseil des jeunes de la Galerie d’art de l’Alberta, par exemple, invite des jeunes de 13 à 17 ans à « participer à la prise de décisions et à la création d’un espace (plus) sûr où les jeunes peuvent explorer, expérimenter et s’exprimer par les arts ».

Au Musée Bytown d’Ottawa, un Conseil des jeunes aide à faire connaître l’histoire de la ville en réalisant divers projets guidés par sa devise « pour les jeunes, par les jeunes ». À Toronto, le Musée royal de l’Ontario a aussi son Conseil des jeunes, composé d’Autochtones et de non-Autochtones, qui « adhère à la philosophie autochtone et au principe “pour les jeunes et par les jeunes” ». Il soutient les membres, qui travaillent à des projets axés sur les jeunes. Chacun de ces exemples démontre comment les jeunes peuvent assumer un leadership dans les musées : en tant que spécialistes de programmes visant les jeunes, mais pas seulement.

Digital cover of the Niagara-on-the-Lake Museum’s 2020 Covid-19 Intermediate Workbook

Couverture numérique du cahier de travail intermédiaire de 2020 sur la Covid-19 conçu par le Musée de Niagara-on-the-Lake pour encourager les jeunes à rapporter leurs expériences. Illustration — Musée de Niagara-on-the-Lake.

Contribution à des collections

La pandémie de Covid-19 a incité divers musées à lancer des projets de collecte rapide d’éléments témoignant de son effet sur la vie des gens, y compris des enfants et des adolescents. Dans ce contexte, comme la Pre Patterson et moi en avons discuté précédemment, plusieurs musées canadiens ont expressément recherché des productions culturelles de jeunes. Par exemple, le Musée de Niagara-on-the-Lake a diffusé une collection de cahiers de travail proposant aux jeunes une variété d’activités de documentation. Le Musée du comté de Huron a lancé une invitation aux enfants de participer à son initiative de collecte rapide.

La pandémie de Covid-19 a engendré une volonté inédite, de la part des musées, de réunir des éléments contemporains propres à la culture des enfants. De pareilles initiatives d’action rapide devraient continuer à mettre en valeur les connaissances et la contribution des enfants en tant que membres de la société dont les points de vue sont dignes de collections muséales.

L’avenir de la participation des enfants à la pratique muséale

Les projets et initiatives évoqués ci-dessus nous rappellent qu’il est possible d’accueillir les enfants comme collaborateurs et contributeurs des musées, à diverses échelles et en fonction de divers budgets. Les musées canadiens ont une longue tradition pour ce qui est de considérer les enfants comme des membres importants de la communauté muséale. En adoptant certains des principes clés de la muséologie critique par les enfants comme la Pre Patterson les a énoncés, les musées peuvent aller au-delà de la prise en compte des enfants principalement en tant qu’important public, et les reconnaître aussi comme des coproducteurs éclairés.

Rebecca Friend est candidate au doctorat en histoire publique à l’Université Carleton, étudiant les représentations des enfants dans les musées canadiens. Elle est aussi une professionnelle muséale chevronnée, travaillant comme chercheuse pour divers musées d’Ottawa. Elle donne des cours au programme des études sur l’enfance et la jeunesse et au Département d’histoire de l’Université Carleton.

Qui remercie tout spécialement la Pre Monica Eileen Patterson.

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