Apprendre des musées stars de TikTok

Mohamed

TikTok, une plateforme caractérisée par son interface unique de brèves vidéos à défilé infini, gagne constamment en popularité depuis 2020. La plateforme était devenue si populaire qu’elle a surpassé Google et Facebook comme destination la plus recherchée sur Internet en 2021.

Le récent succès de TikTok a été attribué à plusieurs facteurs, tout particulièrement la solitude causée par les quarantaines dues à la COVID-19. Ces mêmes conditions ont posé un grand problème aux musées et, plus généralement, au secteur patrimonial, le problème le plus important et le plus évident étant le manque d’accès du public aux musées au cours des périodes de confinement. Pour relever ces défis, un éventail de projets novateurs, surtout virtuels, sont apparus dans les musées.

Photos — Oshawa Museum

 

Conformément à cette tendance, plusieurs musées, au Canada et à l’étranger, ont appliqué leurs capacités novatrices à TikTok, et ont eu des expériences et des résultats positifs.

Lorsqu’on leur a demandé ce qui les avait incités à utiliser TikTok, la plupart des musées ont indiqué que le premier confinement de la COVID-19 avait été le catalyseur. « En 2020, à l’instar de beaucoup de musées dans le monde, nous avons réorienté nos programmes de diffusion externe et nos engagements pour nous concentrer sur l’amélioration de nos biens numériques. Et c’est ainsi qu’est né notre compte TikTok », décrit Melissa Blunden, directrice exécutive du Lacombe Museum.

Photos — Myseum of Toronto

 

Blunden souligne que le confinement a mis à l’épreuve la capacité de diffusion externe des musées à l’ère numérique. Kim Jovinelli, directrice exécutive du Lancaster Medical Heritage Museum, ajoute que la question de la capacité en matière de diffusion externe menaçait déjà les musées avant la pandémie : « Les musées ont un peu la réputation d’être de vieux bâtiments encombrés plutôt ennuyeux et inaccessibles. Je voulais montrer que nous ne sommes pas déconnectés du monde qui nous entoure, et je voulais le faire d’une manière intéressante. »

Un degré élevé de souplesse est nécessaire pour créer du contenu sur des plateformes de réseautage social en pleine expansion, et pour réfuter le stéréotype du musée « ennuyeux et inaccessible ». Cela peut être préoccupant pour tout professionnel des musées qui a été confronté à l’appréhension ou aux limites imposées par des personnes n’appartenant pas à l’équipe de communication. Publier sur TikTok semble se faire idéalement avec le soutien entier du conseil d’administration d’un musée. Lorsqu’on les a interrogés sur la réaction de leurs conseils d’administration, tous les musées sondés ont indiqué avoir eu des réactions positives. En fait, Mary-Katherine Whelan, conservatrice et administratrice du Amherstburg Freedom Museum, fait observer : « Nous nous sommes inscrits à TikTok encouragés par un membre du conseil. » Cela montre que confiance mutuelle et communication ouverte peuvent aider les musées à relever de nouveaux défis.

Ces efforts de collaboration des cadres et du personnel des musées ont également été considérés comme précieux pour le succès de ces musées sur TikTok. Chloé Houde, gestionnaire du contenu numérique à Myseum Toronto, mentionne : « L’équipe de marketing est responsable de la création du contenu, mais le reste de notre organisation y participe indirectement. » Alors que pour le Musée d’histoire naturelle de Berlin, « les guides et les chercheurs des musées sont les principaux personnages de nos vidéos sur TikTok », dit Marc Jerusel, gestionnaire des communications numériques stratégiques. Pour sa part, Lorenzo Schober, directeur du marketing et des communications au Museum of Vancouver, dit que le personnel des collections et de la numérisation joue un rôle de premier plan sur TikTok.

Photos — Amherstburg Freedom Museum

 

Les grands musées disposent d’équipes dédiées gérant la présence du musée sur TikTok, mais les petits musées font surtout appel à des stagiaires et des bénévoles. Par exemple, Lisa Terech, chef de la mobilisation communautaire à l’Oshawa Museum, a dit : « Nous avions deux stagiaires d’été, qui ont pu rester sur place et créer de nombreux projets. Notre personnel du week-end (hôtes des visiteurs) a parfois joué un rôle. Et un étudiant du programme coopératif du secondaire a également participé à la création de contenu. » Kim Jovinelli résume ainsi les avantages de travailler avec des stagiaires et des bénévoles : « Ils sont la colonne vertébrale de tout musée. Ils offrent un point de vue unique sur ce qui se passe dans un musée. À l’occasion, je leur donne même accès à nos plateformes pour qu’ils puissent afficher ce qu’ils veulent avec mes conseils. »

Redonner vie à un cadre muséal normalement sérieux à la suite de confinements dus à la COVID a constitué un avantage supplémentaire du travail sur TikTok. Lorsqu’on leur a demandé si l’utilisation de TikTok valait la peine, tous les musées ont répondu qu’à leur grande surprise la plateforme a constitué pour eux une belle publicité. Jerusel, du Musée d’histoire naturelle de Berlin affirme : « TikTok est devenu notre réseau social le plus suivi en moins d’un an. Nos diffusions en direct sur Internet ont atteint plus de 10 000 utilisateurs, et dans certains cas plus de 100 000. Si l’on regarde les commentaires des utilisateurs, nous atteignons des gens qui ne s’étaient pas intéressés jusque-là à des sujets d’histoire naturelle, alors que sur Instagram, par exemple, nous joignons des personnes “à l’intérieur de notre propre bulle”. »

Joindre des gens hors d’un cercle spécifique a constitué une expérience distinctive pour de nombreux autres musées sur TikTok. Corrie Siegel, directrice exécutive du Museum of Neon Arts, explique : « Nous avons vu un changement réel en ce qui a trait à la mobilisation dans nos salles, les gens passant beaucoup plus de temps qu’auparavant devant les œuvres. Le contenu pédagogique que nous publions sur TikTok a aidé les primo-visiteurs à poser des questions, à regarder attentivement ce qu’on leur présentait et à posséder le niveau de connaissance de base pour profiter de leur visite. »

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Photo — Museum für Naturkunde

À un niveau microcontextuel, les petits musées ayant d’importants comptes TikTok ont pu constater plus directement les bénéfices de leurs investissements dans TikTok. Blunden, du Lacombe Museum, témoigne : « On nous a appelé “le musée sur TikTok” au marché fermier local, et plus récemment “le musée à la baignoire”, en raison d’une vidéo de sept secondes lors de rénovations qui montrait une baignoire dont nous ignorions l’existence, et qui se trouvait coincée dans un de nos lieux patrimoniaux. La popularité de cette vidéo a fait qu’une radio locale en a parlé, qu’il y a eu 3 interviews dans des journaux locaux et régionaux, et plus de 136,2K vues sur la seule appli TikTok. »

Non seulement ces musées sont-ils florissants sur TikTok, mais il semble que l’expérience TikTok a modifié leur façon de se présenter. Pourtant, appartenant à des Chinois, TikTok a été un sujet de préoccupation plus que toute autre plateforme de réseautage social. En 2020, l’ex-président des États-Unis Donald Trump a tenté d’interdire la plateforme par décret. Siegel, du Museum of Neon Arts, un musée américain, fait observer : « Nous envisagions en juillet 2020 de nous joindre à TikTok, mais nous avons attendu pour ce faire qu’il soit plus évident que l’interdit ne tiendrait pas. » Le décret a depuis été abrogé, mais le soupçon entachant les méthodes de collecte de données et l’utilisation de celles-ci demeure. Un an après la tentative d’interdiction aux États-Unis, le gouvernement de l’Inde a interdit TikTok parmi 59 autres applis chinoises à la suite d’un conflit frontalier entre les deux nations. Pour ce qui est du Canada, le ministère de la Sécurité publique a réaffirmé qu’il n’interdirait pas TikTok au pays, et pourtant des soupçons d’interdiction ont persisté, l’affaire du dirigeant de Huawei Meng Wanzho s’envenimant.

Il semble que les interdits, réels ou potentiels, de TikTok constituent une menace indirecte pour les musées qui en sont venus à se fier à la plateforme pour se présenter eux-mêmes. Lorsqu’on leur a demandé comment de tels interdits affecteraient leurs musées, la plupart ont répondu en parlant de résilience. « Ce serait décevant, mais ce ne serait pas la fin du monde pour nous », affirme Terech, de l’Oshawa Museum. À l’inverse, certains ont exprimé des inquiétudes plus sérieuses à propos de l’interdit. Schober, du Museum of Vancouver, déclare : « Il y aurait une incidence sur la mobilisation et la démographie du public si un tel interdit devait être imposé. »

« Toutes les plateformes de réseautage social peuvent fermer votre compte, ou l’entreprise elle-même peut fermer ou être achetée, ou disparaître du jour au lendemain », rappelle Blunden, du Lacombe Museum. La précarité de TikTok n’est pas propre à cette plateforme. Il est toujours bon de prendre des précautions lorsqu’on utilise ces plateformes pour rejoindre des gens. Néanmoins, les expériences des musées les plus suivis sur TikTok nous enseignent que les musées peuvent, avec suffisamment de créativité, de confiance et de collaboration, faire face à toute situation problématique. M

Mohamed est agent de communication à l’Association des musées canadiens.


Le top des trucs TikTok

Pour aider d’autres musées souhaitant utiliser TikTok, nous avons demandé à ceux que nous avons interrogés pour cet article de nous faire part de leurs meilleurs conseils pour démarrer :

  1. Dotez-vous d’un compte Créateur (et non d’un compte personnel ou d’entreprise). Vous aurez ainsi accès à plus de contenu audio, et jumeler vos vidéos aux sons tendance est la meilleure façon d’accroitre votre public et votre taux de mobilisation. (Lacombe Museum)
  2. Embauchez de jeunes créateurs de contenu pour qu’ils vous aident à créer du contenu. Nous avons approché des jeunes qui visitaient notre musée et publiaient des messages, pour nous aider à lancer notre compte et à voir notre musée à travers leurs yeux. (Museum of Vancouver)
  3. Allez à la recherche d’un public. Il est parfois important d’aller sur les comptes d’autres musées et de les suivre, afin de constituer votre base d’abonnés plutôt que d’attendre que les abonnés vous trouvent. (Amherstburg Freedom Museum)
  4. Tenez compte de l’accessibilité sur TikTok. Elle est assez limitée à bien des égards, mais les sous-titres et les voix hors-champ sont d’excellentes fonctionnalités que vous devriez utiliser. (Myseum Toronto)
  5. Élaborez un plan de contenu. De cette façon, vous pourrez créer un grand nombre de vidéos en même temps, les sauvegarder dans vos brouillons et les publier régulièrement. (Oshawa Museum)
  6. Ne craignez pas de mettre du contenu qui soit un peu controversé (dans les limites du raisonnable). Nous avons une réputation à préserver, mais TikTok est une fantastique plateforme pour susciter des discussions sur des sujets pertinents pour votre musée. (Lancaster Medical Heritage Museum)
  7. Ayez confiance en votre public. Tant que vous demeurerez fidèle aux valeurs et aux intérêts de votre organisation, vous trouverez une communauté curieuse et engagée. (Museum of Neon Art)
  8. Si cela vous est possible, surfez sur les tendances. Elles sont amusantes et peuvent vous attirer davantage de vues et un plus grand nombre d’abonnés, tout en vous permettant de rester fidèles à votre site. (Oshawa Museum)
  9. Ne faites pas de sensationnalisme avec des sujets difficiles pour obtenir des vues. Il est très facile de tomber dans ce piège, surtout sur une appli de vidéos courtes qui prospère grâce aux pièges à clic, mais il y a une façon de traiter des sujets sensibles de façon respectueuse. Soyez fidèle à la voix de votre musée. (Myseum Toronto)
  10. attirant à un niveau superficiel/introductif. Évitez de publier du contenu trop savant ou trop nuancé — c’est là que des problèmes de communication et des malentendus peuvent survenir. (Museum of Vancouver)

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