Composer avec le droit d’auteur

Alexander Herman

Alors que les musées envisagent la coordination d’un plus grand nombre d’expositions numériques, quelles sont l’incidence et l’importance du droit d’auteur, plus particulièrement sur l’organisation d’expositions? Alexander Herman, spécialiste des relations entre l’art et le droit, répond à certaines de nos questions sur le droit d’auteur. D’autres enjeux, comme le retrait d’inventaire, seront abordés dans de futurs numéros.

Pourquoi les musées doivent-ils tenir compte du droit d’auteur?

Les musées peuvent être touchés de deux principales façons par le droit d’auteur. Soit le musée est le créateur de nouveau contenu, qui peut être protégé par le droit d’auteur, soit le musée traite ou utilise le contenu protégé par le droit d’auteur de quelqu’un d’autre. Chacune de ces situations nécessitera des approches, une compréhension et des politiques différentes. En tant que créateur de contenu, le musée devra gérer celui-ci, soit en octroyant des licences pour son utilisation, soit en le rendant disponible gratuitement, soit, au besoin, en en surveillant l’utilisation. Il peut s’agir de matériel comme les textes ou les catalogues d’exposition, car dans la plupart des cas, le droit d’auteur sur tout le matériel créé dans le cadre d’un emploi (par le personnel du musée ou un conservateur employé, par exemple) appartient à l’employeur, donc au musée.

Par ailleurs, un musée qui photographie un tableau de sa collection est un exemple d’utilisation de contenu qui ne lui appartient pas. Ce n’est pas parce que le musée est propriétaire du tableau qu’il en détient le droit d’auteur, de sorte que les façons dont il peut reproduire cette œuvre (par photographie, numérisation, etc.) seront limitées. L’incidence est considérable sur la création de sites Web, les possibilités éducatives, la publicité et, bien sûr, les projets de numérisation de masse.

Pendant la pandémie, alors que les musées sont plus susceptibles de mettre l’accent sur les expositions numériques, par opposition aux expositions physiques, la question du droit d’auteur devient particulièrement cruciale. On comptera davantage sur une reproduction de qualité et la mise en ligne des œuvres, ce qui entraînera des problèmes de droit d’auteur. Lors de l’organisation d’expositions ou de projets numériques de ce genre, une stratégie doit être envisagée longtemps d’avance. La recherche des titulaires de droits prend souvent beaucoup de temps; il est donc préférable de commencer tôt.

Quels genres de politiques les musées devraient-ils adopter en ce qui a trait au droit d’auteur?

Cela dépend de la taille de l’établissement. Les grands musées devraient inévitablement se doter d’une politique complète en matière de droits d’auteur et de propriété intellectuelle, car ils délivrent très souvent des licences d’utilisation d’images selon diverses modalités et ils utilisent des images pour des expositions, des films, des catalogues et de la publicité. Les établissements de plus petite taille devraient aussi songer à se doter de leur propre politique qu’ils adapteront au type d’utilisation qu’ils font du matériel. Mais dès qu’ils mettent des images sur leur site Web ou qu’ils les publient d’une façon ou d’une autre, ils devraient certainement tenir compte du droit d’auteur. Ils ont besoin d’une politique à l’interne (pour que tous les employés comprennent les enjeux, l’exposition et les risques) et à l’externe (pour que le public soit au courant de la façon dont le musée traite les images, surtout pour les personnes qui souhaiteraient acheter les droits d’une image d’une œuvre d’art). Peu importe sa taille, un musée devrait avoir une politique facile à suivre et accessible au public.

Quelle est la différence entre le droit d’auteur et la propriété intellectuelle?

Le droit d’auteur est l’un des domaines du droit plus large de la propriété intellectuelle (PI). Le droit d’auteur s’applique à toutes les « œuvres », c’est-à-dire artistiques, dramatiques, musicales ou littéraires, ainsi qu’aux films, aux émissions et aux enregistrements sonores. Le droit d’auteur peut donc entrer en jeu si vous avez des œuvres de ce type dans une collection. La propriété intellectuelle est plus vaste, elle comprend le droit d’auteur, mais aussi les marques de commerce, les brevets, les dessins et autres. Bien que la marque de commerce puisse être importante pour les musées qui cherchent à protéger leur marque (leur logo ou d’autres images connexes), elle ne constitue habituellement pas un enjeu aussi urgent que le droit d’auteur.

Le droit d’auteur s’applique-t-il à toutes les pièces de la collection d’un musée?

Non, mais cela dépend. Comme je l’ai dit précédemment, il peut s’appliquer aux œuvres artistiques. Prenons l’exemple d’un tableau. Si l’œuvre a été réalisée par un artiste vivant, elle est presque certainement protégée par un droit d’auteur. Le droit d’auteur dure toute la vie de l’artiste, plus une certaine période après son décès. Au Canada, cette période est actuellement de 50 ans. Ce n’est pas parce qu’un artiste est décédé qu’il ne faut plus tenir compte du droit d’auteur. Dans les cas où l’artiste est décédé depuis moins de 50 ans, il faudra peut-être communiquer avec ses héritiers (si vous pouvez les trouver!) ou avec une société qui gère les droits d’auteur de cet artiste. Cela dit, le simple fait qu’un tableau soit toujours protégé par un droit d’auteur ne signifie pas que vous ne pouvez rien en faire. Heureusement, il existe au Canada un certain nombre d’exceptions qui protègent une partie — mais pas l’ensemble — des activités des musées contre une éventuelle réclamation pour violation de droit d’auteur.

Il y a aussi ces étranges créatures appelées « droits d’exposition », qui sont propres au Canada. Ainsi, vous devrez peut-être obtenir une autorisation ou payer des droits simplement pour exposer les œuvres canadiennes créées au cours des trente dernières années. Ces droits n’existent pas dans les autres pays, et certains membres du milieu des musées au Canada croient qu’ils sont un obstacle à la présentation de grandes expositions d’artistes canadiens contemporains. Cela dit, ils servent à protéger les artistes et à leur verser une somme si leurs œuvres sont présentées en public.

Les musées traitent souvent avec des musées étrangers qui ont leur propre approche du droit d’auteur. Comment s’en sortir?

Bien qu’il existe certaines normes internationales en la matière, le droit d’auteur relève principalement des pays. Il faut donc garder cette réalité à l’esprit. Par exemple, les Américains ont des règles et une façon de voir les choses très différentes en ce qui a trait au droit d’auteur. Les personnes qui ont participé à des expositions transfrontalières savent de quoi je parle. Aux États-Unis, les documents du gouvernement fédéral ne sont pas protégés par le droit d’auteur, de sorte que le personnel des institutions américaines aura peut-être tendance à tenir pour acquis qu’il en est de même partout, y compris au Canada. Bien entendu, ce n’est pas le cas. Ici, le droit d’auteur de la Couronne protège les documents gouvernementaux. Il est également important de savoir que la législation sur le droit d’auteur s’applique à l’échelle du Canada, de sorte qu’elle est la même dans toutes les provinces.

Y a-t-il des changements importants à l’horizon en ce qui concerne le droit d’auteur?

Oui. Au Canada, le droit d’auteur fait constamment l’objet de changements. Il en va ainsi au plan législatif, avec les changements apportés par le Parlement, et au plan judiciaire, avec les changements apportés par les tribunaux. Un changement important découle de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM). En vertu de cet accord, le Canada a dû prolonger de 20 ans la durée du droit d’auteur, de sorte qu’il perdurera bientôt 70 ans après la mort du créateur. Cela permettra au Canada de s’aligner sur de nombreux autres pays, y compris tous ceux d’Europe.

Outre le droit d’auteur et la propriété intellectuelle, y a-t-il d’autres domaines du droit qui sont importants pour les collections?

Très certainement. Le droit d’auteur et la propriété intellectuelle ne touchent que les biens incorporels relatifs aux objets des collections, mais il ne faut pas oublier les biens corporels. Des questions se poseront donc en ce qui a trait au titre et à la propriété, aux œuvres d’art volées, aux achats de bonne foi et à l’incidence des délais de prescription. Il faut aussi penser aux contrats, comme les ententes d’acquisition ou de prêt, ainsi qu’aux importations et aux exportations. Le « droit artistique » est donc très vaste. J’ai déjà entendu dire qu’il n’y a pas de « droit artistique », mais je ne suis vraiment pas d’accord.

Comment les professionnels des musées peuvent-ils en apprendre davantage sur le droit d’auteur et son incidence sur les collections?

Vous trouverez des renseignements généraux utiles dans le site Web de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) ainsi que dans ceux de sociétés de gestion des droits d’auteur, comme Droits d’auteurs Arts visuels (anciennement CARCC). Les services d’aide juridique axés sur les arts peuvent également être utiles. Il y a aussi des cours, comme celui qu’offre mon organisation, l’Institute of Art and Law. En juin, nous offrons un cours sur la propriété intellectuelle et les collections muséales. En raison de la pandémie, il sera entièrement en ligne cette année. M

Alexander Herman est directeur adjoint de l’Institute of Art and Law, au Royaume-Uni. Ancien avocat à Montréal, il enseigne le droit artistique et écrit sur des sujets connexes. Twitter: @artlawalex