Renommer les œuvres d’art — comment les changements de titre contribuent à changer les établissements

Matias Bessai

En 2022, la discussion sur la manière de traiter les titres et les noms problématiques occupe le devant de la scène à différents degrés dans tout le pays. Ceux qui sont sceptiques à l’égard des changements de noms ne comprennent peut-être pas pourquoi c’est important, et pour qui. C’est un problème, mais un problème qui a un côté positif intéressant. En cette période d’incertitude relativement au changement de noms, des établissements tels que les musées ont la possibilité de devenir des chefs de file et de montrer comment reconnaître efficacement l’histoire coloniale du Canada, et d’aller au-delà.

Dans le contexte des musées, la gestion de titres problématiques devient plus importante pour plusieurs raisons. Au niveau le plus élémentaire, ces établissements possèdent des collections constituées de documents historiques. Tous les artefacts, sculptures et peintures composent ensemble une image complète de ce pays à la fois véridique et exacte. Au-delà, il incombe aux musées d’instruire le public, et il leur faut donc savoir comment leur collection présente l’histoire, et quels préjugés se dissimulent sous la surface.

Le plus ancien musée d’art municipal, le Musée des beaux-arts de Winnipeg, a été le premier leader dans ce domaine, avec son Initiative de changement de noms d’œuvres d’art. Sa volonté d’agir et son approche des pratiques de changement de nom lui a valu un Prix d’excellence de l’AMC pour la Préservation des collections, et l’examen de son projet permet de mieux comprendre comment les changements de nom peuvent constituer un pas important vers l’avant en vue de la réconciliation.

Julia Lafreniere et Marie Anne Redhead acceptent le prix de WAG-Qaumajuq, avec l'une des œuvres d'art évaluées dans le cadre de leur projet.

Le projet a débuté en 2019, lorsque Katryna Barske, administratrice des médias numériques, mettait à jour la collection en ligne du MBAW. Naviguant à travers les abondantes archives du Musée, elle est tombée sur une peinture qui l’a fascinée non à cause de son sujet, mais en raison de son titre. A Half Caste with his Wife and Child (Un Demi-Caste avec sa femme et son enfant), œuvre à l’aquarelle et à l’encre de 1825, représente un Métis élégamment vêtu avec sa famille, scène qui, selon Barske, était injustement présentée par son titre.

La surprise et la frustration de Barske l’ont fortement incitée à faire quelque chose à cet égard. Elle s’est donc adressée à Julia Lafreniere, cheffe des initiatives autochtones du MBAW, pour obtenir des conseils. Avec l’aide de Marie-Anne Redhead, assistante à la promotion au MBAW, une vérification a été effectuée pour déterminer les œuvres répondant aux critères d’admissibilité pour les changements de titre. On en est arrivé à une liste de 57 œuvres. Le choix des pièces n’était toutefois qu’un début, le reste constituant le gros de la tâche. Tout au long de sa carrière, Lafreniere a beaucoup travaillé avec des (Aînés et gardiens du savoir autochtones, et elle était certaine dès le début que si des œuvres devaient être dotées d’un nouveau titre, c’était à eux de le faire.

« Ils inspirent toujours, dit Lafreniere à propos des Aînés. C’est pourquoi j’aime leur donner l’autonomie pour qu’ils fassent ce qu’ils veulent avec un projet, parce qu’ils savent toujours quelle direction prendre. » Cette autonomie que décrit Lafreniere est à la base du fonctionnement du projet. Les Aînés et les gardiens du savoir ont passé du temps à examiner les pièces en question, recherchant des indices pouvant indiquer de quelle nation particulière il s’agissait, ou quelles pouvaient être les relations entre des personnes, et ils se sont servis de cette information pour créer de nouveaux titres basés sur un authentique savoir autochtone. Marie-Anne Redhead a travaillé en étroite collaboration avec les Aînés au cours de cette période de recherche, et a noté que c’était « une façon très différente d’étudier l’œuvre d’art », en raison de l’attention à des détails qui sont souvent négligés, ou qui ne sont simplement pas compris par les non-Autochtones. « J’ai passé avec eux de très beaux moments », dit-elle, repensant affectueusement à son expérience.

Lafreniere a expliqué que, en créant de nouveaux titres, les gardiens du savoir accomplissaient une chose à laquelle les musées canadiens ne s’intéressaient souvent pas, célébrant l’humanité des peuples autochtones. « Ils humanisaient les gens dans l’œuvre d’art, chose qui se produit rarement pour les Autochtones dans les établissements coloniaux, et je pense que c’est ce qui a rendu ce projet si fort et si important. » Ce processus d’humanisation peut se constater dans le changement du titre d’une peinture de 1919 originellement intitulée Indian Encampment (Campement indien). Le nouveau titre, Kokum’s Camp (Le Camp de Kokum), attire l’attention sur la figure féminine et lui donne le titre de Kokum, c’est-à-dire grand-mère, reconnaissant les structures sociales qui faisaient des femmes aînées des leaders et des soignantes au sein de leurs communautés.

En outre, ce sont les Aînés et les gardiens du savoir qui ont pressentis que ces nouveaux titres susciteraient des réactions défavorables si les anciens étaient complètement éliminés. Ils ont plutôt conseillé de présenter l’œuvre avec les deux titres. « Au début, ça ne faisait pas partie du projet pour moi, dit Lafreniere. Je voulais simplement me débarrasser de ces mots racistes parce qu’ils sont nuisibles, et chaque fois que nous les voyons ils nous rappellent cette histoire révoltante. Mais comme je l’ai mentionné, ce sont les gardiens du savoir qui savent. » En gardant également les titres d’origine, on encourage le visiteur à voir dans l’histoire de ce pays une chose qui est sans cesse réévaluée, et qui se trouve enrichie par l’inclusion du savoir autochtone.

Examinant de près pourquoi elles avaient le sentiment que l’initiative était un succès pour le MBAW, Lafreniere et Redhead, se considérant toutes deux comme autochtones, ont affirmé que la déconstruction de la lentille coloniale des établissements canadiens est la seule façon de rendre véritablement ces espaces sûrs et inclusifs pour les Autochtones. « Le titre encadre une pièce, il oblige à la voir d’une manière spécifique, explique Redhead. La plupart d’entre elles ont également été créées à une époque où la construction de la nation était le grand projet du Canada, et donc beaucoup de ces artistes ont participé au projet d’expansion coloniale. » Que ces choix aient été faits consciemment ou non, la façon dont les artistes de cette période ont présenté les peuples et les coutumes autochtones a contribué à la prolifération des stéréotypes nuisibles qui existent jusqu’à ce jour. À l’époque, on justifiait ainsi le vol de territoires sur la base de la croyance que les gens auxquels on les dérobait étaient inférieurs.

De cette manière, la possibilité de renommer ces pièces des années plus tard peut être considérée comme un moyen de redonner le pouvoir aux gens à qui on l’a retiré. « Dans ces discussions, nous oublions souvent que les noms ne sont pas qu’une chose qui s’est produite de cette façon, ajoute Redhead. « Une personne détenant le pouvoir a donné à cette chose un nom, et donc le fait d’avoir le pouvoir de la renommer nous donne la capacité d’agir. » D’avoir la possibilité d’agir sur le changement du titre des œuvres d’art dépendait cependant de ceux qui se trouvaient au sommet de la pyramide du MBAW, qui pouvaient approuver ou non l’initiative.

Lafreniere a dit qu’elle comprenait cette réalité, particulièrement relativement à la réconciliation. « Je ne crois pas que la réconciliation doive être le fait des Autochtones, explique-t-elle. Ces décisions doivent être prises par les établissements et par les non-Autochtones. » Enfin, Lafreniere dit que la volonté de céder et de partager le pouvoir est l’étape la plus importante. « Si vous voulez vraiment parler de réconciliation et de décolonisation, il vous faut renoncer à une partie de votre pouvoir et être confiant que les choses vont bien se passer. 

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Matias Bessai est un journaliste indépendant et un stagiaire pour le magazine Muse du programme de l'école de journalisme de l'université Carleton.

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