50 ans de Politique nationale des musées

Peter Simpson

Une nouvelle politique nationale des musées ne doit pas se limiter à une question d’argent, affirme Massimo Bergamini, directeur général et PDG de l’Association des musées canadiens. Elle doit également reconsidérer fondamentalement les rôles que jouent les musées dans la vie canadienne, et leur permettre de mieux jouer ces rôles.

« Le pays est divisé à bien des égards, déclare Massimo Bergamini. Ces lignes de fracture sont économiques, elles sont culturelles, elles sont politiques. Nous le constatons dans notre discours politique, nous le voyons dans la frustration qui, à son paroxysme, donne lieu à une occupation illégale de l’enceinte parlementaire. Toutes ces choses sont des signes que le corps politique souffre. Les musées offrent l’occasion d’engager une discussion calme pour guérir, tout simplement. Les musées sont des lieux où les gens peuvent se réunir, peuvent apprendre à mieux connaître notre histoire, à mieux connaître le contexte, à débattre et échanger. »

Cet esprit est essentiel dans la campagne de l’AMC pour une nouvelle politique nationale des musées, dont la nécessité a été amplifiée par les réalités sociales et économiques de la pandémie de COVID, et par les mesures de santé publique requises.

« Le stress et le traumatisme des deux dernières années ont fortement mis en relief des inégalités et des griefs historiques, et ont accentué les divisions au sein de notre société civile », a déclaré en février Heather George, membre du conseil, dans une présentation de l’AMC au Comité permanent du patrimoine canadien. « Si les musées doivent jouer leur rôle propre dans la guérison de notre société et aider les Canadiens à imaginer un meilleur avenir ensemble, cela doit être reconnu par les gouvernements — et en premier lieu par le gouvernement du Canada. »

Le financement demeure une partie importante de la requête de l’AMC, car le soutien financier fédéral diminue depuis longtemps. Il y a 50 ans, la politique d’aide aux musées comportait un financement de 15 millions de dollars par an octroyé aux musées par le gouvernement fédéral, soit environ 60 millions de dollars en argent d’aujourd’hui, mais le financement est actuellement plus proche des 10 millions de dollars. L’AMC réclame davantage de soutien d’urgence, et une hausse du financement accordé aux musées pour qu’il atteigne au moins 60 millions de dollars par an.

« Les musées rapportent 1,2 milliard de dollars par an en retombées sur le plan éducatif, et 277 millions de dollars pour ce qui est de la valeur des visites en ligne », a déclaré Heather George devant le Comité du patrimoine. Ces chiffres, tirés d’une étude d’Oxford Economics, ont révélé que les retombées économiques générées par les musées du Canada s’élèvent à 2,9 milliards de dollars par an. « Ils procurent de bons emplois et permettent aux Canadiens de rendre à leurs collectivités, par le bénévolat, ce qu’ils en ont reçu, a dit George. La valeur économique pour le pays est évidente. »

Un des champions des musées sur la Colline du Parlement est la sénatrice Patricia Bovey, ancienne directrice du Musée des beaux-arts de Winnipeg et de l’Art Gallery of Greater Victoria, et la première muséologue nommée au Sénat, qui continue à promouvoir le projet de loi S-208 sur « le rôle essentiel des artistes et de l’expression créatrice au Canada ». Patricia Bovey admet qu’un financement plus important et plus intelligent des musées est essentiel, tout en soulignant qu’« un point de vue à la Oliver Twist — plus s’il vous plaît, plus s’il vous plaît, plus s’il vous plaît — n’est pas nécessairement la bonne direction à prendre. Il nous faut démontrer ce que sont les bienfaits que les musées procurent à la société. »

Beaucoup d’études et de projets muséaux ont révélé que ces bienfaits sont nombreux, d’une réduction de la récidive à de meilleurs résultats médicaux, ces derniers étant un point essentiel pour un gouvernement fédéral qui oriente ses dépenses vers des programmes susceptibles d’atténuer la croissance inexorable des dépenses en santé. Les musées doivent démontrer qu’ils peuvent aider le gouvernement, et les politiciens, à atteindre leurs objectifs en matière de service public, et exiger l’accès et les relations de travail qui peuvent rendre une telle coopération possible et efficace.

« J’aimerais que nous demandions des partenariats, dit Patricia Bovey. L’étendue des connaissances des gens qui travaillent dans nos musées peut avoir une bien plus grande incidence si les portes nous sont ouvertes, et je veux que cette politique des musées ouvre ces portes. »

L’AMC continue d’exercer des pressions sur le gouvernement fédéral pour qu’il donne la priorité au renouvellement de la politique nationale des musées, qu’il fournisse une aide supplémentaire face à la pandémie, qu’il augmente le financement à long terme des musées, et qu’il « reconnaisse finalement les formidables bienfaits pour l’économie et la société » que les musées offrent en retour de l’investissement de fonds publics.

Massimo Bergamini affirme que, pour atteindre ces objectifs, les musées doivent disposer d’un « ensemble d’outils » qui soient « adaptés à leur réalité ». Le financement devrait être moins lié à l’aspect commercial et moins compétitif, et plus stable à long terme.

« Lorsque vous craignez que ce toit qui fuit endommage vos collections, vous n’êtes pas vraiment en mesure d’envisager le genre de rôle favorable au progrès que vous pourriez jouer dans la guérison de ce pays, pour unir ce pays », a-t-il déclaré.

Un financement stable permettrait aux musées d’être plus réactifs et plus flexibles dans leur programmation, leur assurant la liberté de prendre des risques et de tirer de précieuses leçons de ce qui fonctionne et de ce qui échoue. L’élimination du long processus d’obtention préalable d’un financement permettrait aux musées de changer de cap et de monter des expositions, et de mettre en œuvre des programmes plus rapidement, particulièrement lorsqu’il y a urgence.

« Le véritable défi pour le gouvernement du Canada est d’inscrire dans une politique une vision du pays qui reconnaisse les fractures existant actuellement dans notre pays, et d’assurer qu’il travaillera avec ces établissements parce qu’il est convaincu que ceux-ci ont un rôle à jouer pour y remédier. Ce n’est pas un processus à court terme, c’est un processus générationnel », explique Massimo Bergamini.

Les propositions de l’AMC visent à optimiser l’utilisation des collections pour raconter des histoires canadiennes inclusives à partir de points de vue différents; à accroître la numérisation des collections et les expositions numériques; à promouvoir un avenir durable et inclusif ainsi que la cohésion sociale par des travaux sur les changements climatiques, la réconciliation et d’autres sujets d’une importance capitale; à permettre aux musées d’encourager la participation du public et l’innovation; et à faire en sorte que le secteur des musées puisse aider plus efficacement le gouvernement et la société à atteindre les objectifs publics et sociaux.

Les musées jouissent d’une confiance particulière pour jouer un tel rôle, affirme Massimo Bergamini. « Les musées figurent parmi les établissements en lesquels les gens ont le plus confiance dans notre pays, et ce, dans tous les groupes démographiques. »

De nombreux rapports témoignent de cette confiance du public, notamment une étude effectuée en 2016 par le ministère du Patrimoine, qui indique que 96 % des Canadiens sont d’avis que les musées sont des « sources fiables d’information sur l’histoire ». Le pourcentage était moins élevé chez les Autochtones, mais dénotait une confiance dans les musées plus élevée que dans n’importe quelle autre source d’information.

« Les musées sont des endroits où les gens peuvent se retrouver ensemble, en apprendre davantage sur notre histoire et sur le contexte, et où ils peuvent débattre et échanger », ajoute Massimo Bergamini. « Il faut parler à l’esprit et au cœur des gens, et je crois que c’est là justement la fonction de nos établissements. »

Le gouvernement fédéral actuel s’est engagé en principe à créer une nouvelle politique nationale des musées, dans la lettre de mandat de 2019 du ministre du Patrimoine canadien ainsi que dans des déclarations subséquentes du ministre et du Premier ministre Justin Trudeau. Même si l’instauration d’une nouvelle politique nationale a, comme bien d’autres choses, été retardée par la pandémie, le besoin est urgent. « Nous croyons qu’une politique actualisée est indispensable à la reprise post-pandémique et pour assurer une plus grande résilience à long terme du secteur », a écrit l’AMC au gouvernement en 2021.

En mai, l’AMC entamera une série de tables rondes partout au pays afin de dégager un ensemble commun de principes pour une nouvelle politique nationale des musées, notamment des points de vue pratiques sur l’état du financement de fonctionnement et du financement en capital, de la programmation, de la main-d’œuvre et du personnel. M

Peter Simpson, auteur spécialisé dans le domaine des arts et de la culture depuis de nombreuses années, travaille à partir de son dominicile, au centre-ville d’Ottawa, où il est entouré d’une multitude d’œuvres d’art.

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