Village cri de Mistissini sur le lac Mistassini, le plus grand lac d’eau douce de la province de Québec. Photo — Megapress / Alamy Stock Photo

Story Tellers

Neanne Tanis Cheechoo

Wachiya! Je m’appelle Neanne Tanis Cheechoo, qu’on prononce en cri Nii-Yaan Daa-Nis, c’est-à-dire Notre fille. Ma mère est de Mistissini, au Québec, et mon père est de Moose Factory, en Ontario. Mon nom vient des dialectes cris d’Eeyou Istchee (la Terre du peuple) et des Cris de Moose. 

Je suis agente des collections à l’Institut culturel cri Aanischaaukamkiw (ICCA), à Oujé-Bougoumou (Québec). Aanischa vient du mot cri signifiant rassembler, Aanischaaukamkiw est un espace culturel qui relie les gens à la culture crie. Nous y conservons des objets cris afin de préserver le mode de vie des Cris et de raconter leurs histoires. J’aimerais raconter ma propre histoire, la façon dont je me suis retrouvée au Département des collections de l’ICCA, où je travaille avec un personnel passionné et dévoué.

Je savais que ma place était ici lorsque j’ai observé notre stagiaire en conservation prononcer un petit laïus sur l’endroit où placer le numéro d’acquisition sur une pelle à neige en bois. J’ai été amenée à bien comprendre la nature philosophique et logique de la pensée critique d’un restaurateur sur la localisation des numéros d’acquisition. J’ai réalisé que la préservation du patrimoine n’était pas qu’une science — en tant que professionnels des musées en herbe, nous portons plusieurs chapeaux : scientifiques, interprètes, historiens, enseignants, portiers, planificateurs, et ainsi de suite. Nous établissons des relations entre passé et présent, dans le contexte des objets et de la communauté.

Je suis titulaire d’un baccalauréat ès arts avec spécialisation en anthropologie et mineure en études autochtones de l’Université Carleton. J’ai passé plusieurs années à Ottawa à m’efforcer d’atteindre mes objectifs académiques. J’ai dû relever des défis, franchir des obstacles et faire des sacrifices.

J’ai quitté ma belle communauté de Mistissini pour m’installer dans la capitale du Canada et mener une vie urbaine. À Ottawa, tout était nouveau pour moi. Il m’a fallu un certain temps pour m’acclimater et m’adapter, pour m’initier à de nouvelles cultures, et donc à un nouveau mode de vie. 

Il n’y avait rien de cri dans la vie en ville. Je me suis installée dans un petit appartement d’une chambre à coucher avec du parquet. Tout me semblait cloisonné, compact et bruyant. C’était cela les merveilleuses choses de la ville. Mais les vues compensaient largement. La ville se laissait contempler depuis mon canapé, ainsi que le vol des pigeons, qui stationnaient souvent sur la rambarde de mon balcon.

En fait, est-ce que je savais que je voulais étudier l’anthropologie? La réponse est non. J’ignorais ce que font les gens qui ont un diplôme d’anthropologie. La première année, j’ai suivi un cours d’introduction à l’anthropologie et je suis tombée amoureuse de cette discipline. Je suis tombée amoureuse de ce que voulait dire apprécier l’anthropologie. Bien sûr, l’anthropologie est une discipline née de la colonisation (comme bien d’autres disciplines universitaires), mais ce n’est pas l’anthropologie traditionnelle qui m’a incitée à continuer. C’est plutôt le besoin de comprendre les gens, les différences humaines, les différentes histoires.

Pendant mes études de premier cycle, j’ai réfléchi à différents domaines qui me plairaient. Avec ma classe, j’ai visité quelques musées. Quelque chose m’attirait dans l’architecture, les expositions, les personnes qui lisaient les histoires et s’émerveillaient de ce qui était exposé. J’étais fascinée par tout cela. J’ai rencontré une professionnelle des musées qui fixait une vitrine d’exposition vide, le menton dans la main, telle une artiste contemplant une toile vierge, réfléchissant à ce qu’elle va peindre sur la toile, et comment. J’ai demandé : « Qu’est-ce qu’elle fait? » Le guide a dit qu’elle était une des conservatrices du musée. Ensuite, on nous a emmenés au niveau inférieur du musée pour voir où sont entreposées les collections et où on effectue les tâches de conservation. J’ai pu voir où se trouvaient certaines des collections et comment elles étaient entreposées. J’ai pu voir quels protocoles de conservation et de sécurité sont appliqués lorsque les collections sont acceptées dans le musée.

Tout ce processus était fastidieux, mais il me fascinait. Les histoires des gens m’attiraient. J’étais fascinée par la façon dont on prenait soin des possessions de ces gens.

Mes tentatives d’íntégrer l’industrie muséale étaient tout aussi fastidieuses — pour devenir une professionnelle des musées, il fallait répondre à certaines exigences et je n’y arrivais pas tout à fait. J’ai constaté que l’industrie muséale est très concurrentielle. J’ai décidé d’abandonner l’idée d’en faire partie. L’Institut culturel cri Aanischaaukamkiw venait d’être créé mais les possibilités d’embauche n’étaient pas nombreuses en raison du manque de fonds, ce qui est le lot de la plupart des nouveaux musées. Un jour, on m’a appelée pour me parler d’un poste qui s’ouvrait à l’ICCA. J’avais déjà un emploi permanent dans l’administration des soins de santé, mais j’ai décidé d’accepter le poste parce que je savais que c’était là que je devais être. Mon titre actuel est agente des collections, mais j’ai commencé à assumer le rôle de coordonnatrice des collections et des expositions. J’apprends, grâce à une équipe dévouée, tout ce qu’il faut savoir sur les pratiques muséales, et les membres de cette équipe en apprennent également davantage sur le point de vue cri. Grâce à leur soutien et à leur attachement à raconter les histoires des Cris, je sens qu’on m’entend.

Comme notre stagiaire qui a choisi avec soin où placer le numéro d’acquisition permanent de la pelle à neige en bois — elle parlait comme si l’objet était une chose vivante, qui respirait. Elle comprenait qu’elle n’allait pas simplement placer un numéro sur l’objet et remettre celui-ci dans les réserves — parce que l’objet auquel elle donnait un numéro permanent vivrait désormais avec lui. On voit ici dans la pelle à neige en bois non pas quelque chose qui a été, mais quelque chose qui est.

J’ai visité plusieurs musées lorsque je vivais dans le Sud. Mon expérience a chaque fois été différente. La plupart des musées constituent d’abord leurs collections archéologiques, puis ils en présentent les histoires, et indiquent par qui les collections ont été découvertes. Cela peut être très problématique lorsqu’on présente des objets des Premiers Peuples, car on se focalise sur la découverte plutôt que sur les histoires des peuples autochtones qu’elles racontent.

Pour ce qui est des nouvelles pratiques des musées, elles permettent de passer des pratiques muséales traditionnelles à des pratiques diversifiées favorisant la réciprocité. Un des aspects clés des cultures autochtones dans le monde entier est la pratique de la réciprocité. Ici à l’Institut, non seulement nous présentons des aspects de l’histoire crie, mais également un mode de vie des Cris. Cette démonstration se fait au moyen d’approches basées sur la façon dont nous acceptons, examinons, entreposons et exposons des objets cris pour comprendre les points de vue cris.

Dans une de nos expositions, nous avons orné des mentons d’ours. Ces mentons ornés étaient portés par le chasseur pour que la chasse soit bonne. Le propriétaire demandait que les mentons d’ours ne soient pas comptés, car on croit que compter les mentons d’ours porte malheur au chasseur. Notre département des collections tient grandement compte de ce type d’information lorsqu’il est question de pratiques de conservation et d’autres pratiques muséales. 

Je pense qu’en tant que nouveaux professionnels des musées nous devons être conscients que nous racontons des histoires, et comprendre comment elles sont racontées et comment on en prend soin, et nos pratiques doivent être conformes à la vision autochtone, principe directeur de la manipulation des objets dont nous avons la garde. La communication est un des indicateurs clés du bon fonctionnement de l’ICCA. Les objets du peuple cri et leurs histoires sont des principes directeurs dans nos pratiques muséales. Leurs voix sont entendues et figurent dans nos politiques. En tant que nouvelle professionnelle autochtone des musées, il est important que ma voix soit entendue, et j’encourage les autres à donner leur avis sur l’adoption de nouvelles approches pour les pratiques muséales relatives aux objets et histoires autochtones. M

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