Déclarations de reconnaissance : une première étape vers la réconciliation


Kenneth Favrholdt

Chaque lieu au Canada, du nord au sud, d’est en ouest, des plus grandes villes aux plus petits villages, possède une histoire autochtone. Les déclarations de reconnaissance, appelées reconnaissances de terre, de territoire ou de traité, sont de plus en plus utilisées par les musées pour faire le lien entre la présence physique du musée et la présence autochtone de son emplacement géographique, en plus de rendre hommage aux habitants d’origine qui sont, ou ne sont pas, représentés dans les collections du musée. Les déclarations de reconnaissance peuvent prendre de nombreuses formes; déclarations écrites sur les panneaux d’entrée, dans les expositions, sur les sites Web ou sur d’autres plateformes de médias sociaux, et déclarations verbales dans le cadre d’événements et de programmes offerts par les musées.

Dans un article de CBC News en ligne intitulé What is the significance of acknowledging the Indigenous land we stand on?, Alison Norman, conseillère en recherche pour le ministère des Affaires autochtones de l’Ontario, explique que depuis la publication des appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation (CVR) en 2015, les reconnaissances de territoire se sont multipliées dans les espaces non-autochtones au cours des dernières années. Les appels à l’action de la CVR ne soulignent pas la nécessité de produire des déclarations de reconnaissance. Or, les revendications territoriales et l’affirmation des droits issus de traités pendant de nombreuses décennies ont favorisé l’utilisation de telles déclarations.

La reconnaissance des terres est une pratique qui précède l’arrivée des Européens. Shylo Elmayan, Anishinaabe de Hamilton et directeur des services aux étudiants autochtones à l’Université McMaster, souligne que « des reconnaissances étaient formulées lors de cérémonies, ou lorsque le membre d’une tribu allumait un feu à la périphérie du territoire auquel il rendait visite, attendait que quelqu’un vienne à sa rencontre, fumait le calumet de la paix, reconnaissait à qui appartenait la terre, discutait des intentions. C’est un rituel autochtone que nous avons toujours respecté… mais aujourd’hui, tout le monde le remarque, car les organisations non-autochtones expriment de telles reconnaissances. »

Cela ne veut pas dire que les organisations non-autochtones ne devraient pas prendre le temps d’entreprendre ces reconnaissances des terres. Dawn Saunders Dahl, gestionnaire de programme autochtone au Whyte Museum of the Canadian Rockies, estime que les déclarations de reconnaissance devraient être prononcées par les employés ou les représentants non-autochtones, et non par les porte-parole du groupe autochtone local ::

« Selon moi, les déclarations de reconnaissance de la terre, du territoire ou du traité devraient être exprimées par les personnes qui ne sont pas autochtones. Les Autochtones savent à qui les terres sur lesquelles ils se trouvent appartiennent. Les déclarations de reconnaissance visent à sensibiliser les nouveaux arrivants et les colons à la présence autochtone et aux droits fonciers, et à reconnaître les privilèges. On peut commencer par émettre ces déclarations de reconnaissances dans la vie quotidienne lors d’événements publics et dans des documents de marketing comme les signatures électroniques, les sites Web et la signalisation.

Les peuples autochtones peuvent — et devraient — être invités pour offrir des messages de bienvenue, mais ce n’est pas à eux que revient la responsabilité de reconnaître à qui les terres traditionnelles qu’ils occupent actuellement appartiennent. »

Il incombe aux musées d’effectuer des recherches pour en savoir plus sur leurs collections autochtones et l’histoire des peuples autochtones dans leur région. Récemment, Canadian Geographic a publié l’Atlas des peuples autochtones du Canada, qui offre, à l’aide de cartes, un aperçu complet des langues parlées, des terres visées par les traités et des réserves dans l’ensemble du pays. Par exemple, l’Alberta compte environ 258 000 Autochtones, dont 45 Premières Nations et 140 réserves au sein de trois régions visées par des traités; huit établissements métis; et des Inuits.

Après de vastes consultations auprès des groupes autochtones, et afin de rendre compte de la diversité des Autochtones représentés par sa collection, le nouveau Royal Alberta Museum, à Edmonton, a affiché une déclaration en 15 langues sur le panneau d’accueil des visiteurs du musée, dans lequel il « reconnaît avec respect que la terre sur laquelle nous nous trouvons est le territoire du Traité 6 et un lieu de rassemblement de générations de Premières Nations, de Métis et d’Inuits ».

Il existe une grande variété de déclarations de reconnaissance exprimées partout au Canada, aussi diverses que les Autochtones au sein du pays et sur les terres elles-mêmes, et les relations avec les organisations autochtones locales jouent un rôle vital dans la création d’importantes énoncés de reconnaissance. Comment un musée peut-il améliorer sa collaboration avec les collectivités autochtones locales? Par le passé, les décisions des conseils d’administration ou des directeurs des musées ont trop souvent pris le pas sur la contribution des peuples autochtones dans la présentation de leur propre culture.

En Colombie-Britannique, la plupart des Premières Nations vivent sur un territoire non cédé. Le musée royal de Colombie-Britannique (RBCM), à Victoria, souligne clairement que malgré les petits traités conclus dans les années 1850, le musée est situé sur le territoire traditionnel des Nations Lekwungen (Songhees et Xwsepsum). Le directeur Jack Lohman fait remarquer qu’une déclaration de reconnaissance est affichée bien en vue dans le hall principal du musée, sur le site Web du musée, et apparaît dans les signature des courriels des employés, dans les communiqués de presse et dans les publications du musée. La reconnaissance verbale du musée remonte à plus de vingt ans. Selon Lohman, « le RBCM est guidé par le Comité consultatif et de défense des intérêts autochtone, auquel appartient le conseiller en chef de la Nation des Songhees, sur les questions autochtones ».

Si nous poursuivons notre chemin vers l’est, la Saskatchewan abrite le Remai Modern à Saskatoon. Plus tôt cette année, le musée a installé une déclaration de reconnaissance permanente dans l’atrium de l’établissement. Bien que la déclaration soit énoncée en anglais seulement, le mot « Bienvenue » est écrit dans six langues autochtones au-dessus du foyer du hall d’entrée du musée et une écriture syllabique crie désigne l’emplacement du musée sur la signalisation à l’entrée du bâtiment. La conseillère en relations autochtones Lyndon J. Linklater explique également que, dans le cadre du plan stratégique global, le musée prévoit de créer un groupe consultatif des aînés pour l’aider à traiter les questions autochtones.

Dans le même temps, au Musée du Manitoba à Winnipeg, les peuples autochtones et le personnel du musée entretiennent une relation de longue date. Ici, le premier traité numéroté, le Traité 1, a été signé en août 1871 entre le Canada et les Anishinabeks et les Cris des marais au sud du Manitoba. La région fait également partie du territoire métis. Le musée s’est concentré sur l’histoire du Traité 1 comme pierre angulaire de son interprétation et de son protocole de reconnaissance des Autochtones. Le musée offre également une traduction française et a créé une série d’options de déclarations à utiliser pour différents événements, y compris les événements autochtones, mixtes ou non autochtones, assortie d’un guide de prononciation pour les différentes nations. Sur son site Web, on peut lire :

« Le Manitoba Museum est situé sur les terres visées par le Traité 1 et dans le territoire de la nation métisse. Ces terres, occupées depuis des milliers d’années, sont les territoires traditionnels des nations Anishinaabeg, Ininiwak et Nakota. Le musée s’engage à collaborer avec tous les peuples autochtones de la province, y compris les Dakotas, les Anishininiwaks, les Déné et les Inuits.

Nous reconnaissons les préjudices infligés par le passé, nous nous engageons à améliorer les relations dans un esprit de réconciliation et nous apprécions la possibilité de vivre et d’apprendre sur ces terres traditionnelles dans un respect mutuel. »

Toutefois, les musées n’ont pas tous créé et communiqué une déclaration de reconnaissance, et certains établissements débattent de la question ou ne ressentent pas le besoin d’en exprimer une. Certaines personnes pensent que les déclarations de reconnaissance sont devenues trop normatives et superficielles. Les universités et les collèges mènent la même discussion sur la question.

Hayden King, Anishinaabek de l’Université Ryerson située sur le territoire des Haudenosaunees, explique à Rosanna Deerchild, animatrice de l’émission de radio de CBC/Radio-Canada Unreserved, au sujet des reconnaissances de territoire, en juin 2018 :

« Je me suis rendu compte que les déclarations de reconnaissance de territoire pouvaient devenir très superficielles et également fétichiser en quelque sorte ces traités réels, tangibles et concrets… J’aimerais qu’on s’oriente vers une reconnaissance de territoire où les gens disposent d’une sorte de cadre, mais écrivent eux-mêmes leur déclaration. De toute façon, l’aspect véritablement important d’une reconnaissance de territoire, selon moi, est le type d’obligation qui en découle. »

Les musées de Guelph font partie des nombreux musées, en plus de ceux mentionnés précédemment, qui ont souscrit à la réconciliation dans leur déclaration de reconnaissance en donnant suite aux appels à l’action de la CVR. Ils déclarent sur leur site Web :

“« Les déclarations de reconnaissance de terre jouent un rôle crucial pour maintenir la sensibilisation et le souvenir; cependant, elles nécessitent des actions et une participation pour remplir leur rôle. Chacun et chacune de nous a la responsabilité de participer au processus, car nous sommes tous signataires des traités...

Nous corrigeons actuellement la manière dont l’histoire a été décrite dans les musées pour y intégrer des voix, des histoires et des connaissances autochtones authentiques, qui par le passé avaient été mises de côté en faveur des récits coloniaux. »

J’espère que le présent article offre un aperçu utile sur les déclarations de reconnaissance des terres ainsi que des idées et des exemples précieux sur les pratiques de certains musées au Canada, et qu’il renforcera la volonté des musées d’engager une conversation avec les collectivités autochtones dans leur région.

l convient d’insister que dans chaque reconnaissance, la réconciliation avec les peuples autochtones est l’objectif principal. Il s’agit du point de départ d’une discussion sur les mesures que les musées peuvent prendre pour reconnaître que l’histoire des relations avec les peuples autochtones a été désastreuse. Il s’agit donc d’un défi pour les musées; de nouer le dialogue avec les peuples autochtones de manière respectueuse. Cela pourrait représenter un long processus compte tenu des séquelles apportées par la colonisation. Pourquoi ne pas commencer par une reconnaissance simple, mais sincère; le fait que nous vivons tous sur des terres autochtones imprégnées d’une histoire commune que nous ne pouvons pas ignorer.

Kenneth Favrholdt est un géographe de l’histoire avec d’expérience comme conservateur dans les musées communautaires et comme professeur de géographie. Plus récemment, Ken était le Directeur exécutif du musée Claresholm et quartier en Alberta. Il travaille actuellement comme écrivain indépendant et consultant du patrimoine, au thèmes autochtones et du colonialisme du Canada occidental. Il a d’intérêt particulier en cartographie et les sentiers historique en Occident. Ken habit avec sa femme Linda à Kamloops, C-B.